Spectacle
Écrire pour ne pas oublier; écrire pour témoigner à son tour du choc vécu une fois passées les grilles de l’entrée, vu les tas de souliers empilés ou les biberons cassés, arpenté les chambres à gaz et les couloirs hérissés de fils de fer barbelés rouillés; écrire pour lutter contre la peur de l’ignorance et de l’oubli; écrire pour ne pas vouloir s’en laver les mains et détourner les yeux d’un passé auquel on croyait ne pas appartenir; écrire pour regarder l’horreur bien en face et lui opposer ses espoirs et sa mémoire universelle; écrire pour dire que la vie est plus forte, pour dire que l’amour est encore bien vivant, et ce, même si parfois on tue des enfants; écrire pour continuer à aimer tout simplement.
C’est après une visite des camps d’Auschwitz et de Birkenau que l’autrice québécoise Louise Dupré a écrit le vibrant cri poétique qu’est Plus haut que les flammes. Pour conjurer l’horreur d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés en ces lieux mêmes, entre 1940 et 1945. C’est pour eux et pour les plus de cinq millions d’autres broyés par la barbarie nazie que témoigne Louise Dupré, mais c’est aussi — et peut-être surtout — pour tous ceux qui n’ont pas été témoins de cette folie des hommes. Était-ce Deleuze qui disait qu’on écrit pour ce qui meurt, à sa place, pour prêter sa voix à celui qui l’a perdue?
Dans une mise en scène dépouillée où les images de Jonas Luyckx viennent plonger le spectateur dans l’univers des camps, la poète se fait lectrice dans un face à face complice avec le compositeur Nicolas Jobin qui a su offrir une musique et un chœur inspirants (et inspirés) à la poésie sans compromis de l’autrice.
Version instrumentale
Rhizome présente une deuxième version de Plus haut que les flammes le 1er octobre 2016, à la salle Multi de la Coopérative Méduse, dans le cadre du festival Québec en toutes lettres.
Il s’agit cette fois d’une première de ce spectacle avec musiciens sur scène.
Toujours assise face au compositeur Nicolas Jobin, qui a créé un véritable oratorio pour poète et ensemble, et entourée du public, Louise Dupré est accompagnée du même chœur virtuel composé de celles d’Evelyne de la Chenelière, Martine Audet, Annie Lafleur, Catrine Godin et Roland Lepage.
À l’occasion du festival, Nicolas Jobin dirige cette fois un ensemble composé de six interprètes : Marie-Julie Chagnon (clarinette), Hélène Desjardins (piano), Raphael Guay (percussion et assistant-chef), Marie-Claude Perron (violon et alto), Geneviève Savoie (flûte) et Suzanne Villeneuve (violoncelle).
Extrait textuel
même si tu ne reconnais plus
ton monde
ni sa course essoufflée
ni sa cacophonie
en couleur
sur les écrans géants
accrochés aux buildings
qui dorment
autour du carré du temps
tandis que des hommes
et des femmes
comme toi
se mirent en silence
dans le regard crucifié
de Francis Bacon
car le monde n’est pas un temple
le monde est un musée
ouvert aux quatre ciels
où le feu et le sang
ont exterminé
le peuple des anges
mais le plus petit moineau
suffit encore à l’enfant
pour se bricoler des ailes
et à l’heure des cloches, le dimanche
tu te demandes
si c’est piété ou mensonge
de garder les lèvres
bien soudées
sur la douleur
le dimanche, tu fais vœu
de beauté
en remuant
mers et merveilles
ta voix qui court
sur la page
comme tu cours
après l’enfant
pour l’entendre rire
[…]
Plus haut que les flammes
Éditions du Noroit, 2010